« …en un mot pour résumer où en sont les personnels de l’Éducation nationale : ils sont épuisés. Très clairement épuisés physiquement et évidemment épuisés psychologiquement, la période est dure. »
Jean-Rémi GIRARD
Président du SNALC

La sécurité est renforcée dans les écoles. Jean-Rémi Girard, professeur et président du SNALC, est revenu sur les propos du ministre de l’Education nationale Gabriel Attal hier soir sur francebleu le 20 octobre 2023.

francebleu – Wendy BOUCHARD

On reparle de l’école au cœur des événements avec notre invité, également professeur de français. Bonjour Jean-Rémi Girard, vous êtes président du SNALC, syndicat national des lycées, des collèges, des écoles et du supérieur. Comment allez-vous d’abord aujourd’hui ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Je vais bien, mais en un mot pour résumer où en sont les personnels de l’Éducation nationale: ils sont épuisés. Très clairement épuisés physiquement et évidemment épuisés psychologiquement, la période est dure.

francebleu – Wendy BOUCHARD

Il est temps que les vacances de la Toussaint arrivent, c’est ce soir. On entendait que les alertes à la bombe – mais on va en reparler – ont perturbé un certain nombre de cours. Dans le Val-de-Marne, des lycées ont souhaité plutôt administrer ces cours à distance. Est-ce que ce temps des vacances va être aussi un temps d’échanges, de réflexion, notamment de la part des syndicats, évidemment ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

On va évidemment réfléchir à ce qui se passe. On a vu le ministre Gabriel Attal avant-hier. Il est probable qu’il y ait un suivi de toute façon sur toutes ces affaires, sur tout ce qui est en train de se passer à l’Éducation nationale, sur les suites de l’assassinat de notre collègue, sur toutes ces alertes à la bombe, sur ce climat global qui est quand même extrêmement tendu.

francebleu – Wendy BOUCHARD

C’est-à-dire, allez-vous vous rencontrer avec le ministre de l’Éducation nationale dans les jours qui viennent ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

On verra, c’est une possibilité en tous les cas, avec son cabinet et avec le ministère. Je crois que ces vacances, il faut aussi que ce soit un moment de repos pour tout le monde, parce que là, on en a tous et toutes besoin.

francebleu – Wendy BOUCHARD

C’était il y a une semaine, tout juste votre collègue Dominique Bernard a été poignardé à mort par l’un de ses anciens élèves du lycée Carnot Gambetta à Arras. L’élève était radicalisé et fiché S. La sécurité, on le sait, autour des écoles, a été renforcée. Hier, vous le citiez, Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, s’est exprimé sur France 2, notamment au sujet de ses élèves radicalisés.

[…]

francebleu – Wendy BOUCHARD

Sortir les élèves radicalisés de l’école, c’est une mesure forte que vous soutenez, Jean-Rémi Girard, avec le SNALC ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Oui, je crois que c’est quasiment mot pour mot ce que j’ai dit avant-hier à Gabriel Attal, lors de la réunion que nous avons eue avant-hier matin. Lorsqu’il y a effectivement des élèves qui sont signalés au niveau du ministère de l’Intérieur, qui ont fait l’objet de plusieurs signalements, qui ont peut-être déjà été exclus, à un moment, la solution éducative dans nos écoles devient inopérante. Cela signifie que l’on lutte contre quelque chose qui relève parfois du lavage de cerveau, et que le système éducatif, à un certain moment, n’a plus les moyens, dans le cadre d’un collège, d’un lycée, ou même d’une école primaire classique, de gérer ces élèves. Il est donc impératif de construire d’autres solutions, des structures, des établissements avec un soutien psychologique et psychiatrique.

francebleu – Wendy BOUCHARD

Ces élèves, on les retire, on ne les met pas dans la rue, on les place ailleurs ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Bien sûr. De toute façon, il est interdit de les mettre dans la rue, car il y a des lois en place. Nous n’avons pas le droit de les déscolariser, car la scolarité est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans ; et de 16 à 18 ans, il faut leur trouver une solution. Maintenant, la protection, non seulement des personnels, mais aussi des autres élèves de l’établissement qui pourraient être attaqués, est absolument primordiale ici.

francebleu – Wendy BOUCHARD

Votre ministre Gabriel Attal ajoute que c’est à vous, au personnel de l’Education, de signaler les élèves qui pourraient potentiellement constituer une menace. Est-ce que c’est déjà le cas, d’abord ? Et comment le fait-on tout en se protégeant en tant que professeur ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

C’est déjà le cas, cela se fait la grande majorité du temps. Cela avait d’ailleurs été fait à Arras, il faut quand même le rappeler. Il y avait eu deux signalements à Arras. Là, c’était un ancien élève, mais effectivement, il était déjà radicalisé lorsqu’il était au lycée.

Effectivement, il y a les signalements que l’on fait au niveau du chef d’établissement, qui doit ensuite les faire remonter. Il y a également les signalements concernant les atteintes à la laïcité, pour lesquels il existe une plateforme où l’on peut signaler directement, la plateforme Pharos.

francebleu – Wendy BOUCHARD

Je reviens sur le signalement. Les deux signalements de la part du lycée Gambetta d’Arras étaient en 2020. Une de vos collègues a été agressée verbalement et physiquement par un élève de sa classe qui était en lien avec l’assassin de Dominique Bernard. Cette même enseignante a ensuite déposé plainte après avoir été suivie jusqu’à son domicile par ce Mohammed Mogouchkov, qui a tenté de l’intimider. En 2020, fin décembre encore, il s’est introduit dans la salle de classe de l’enseignante. Il a alors été inscrit au fichier des personnes radicalisées. On comprend mieux la colère immense de vos collègues à Arras, qui ont interpellé vendredi dernier Gabriel Attal et Xavier Bertrand, en leur disant : “Nous, on a fait notre démarche, mais vous, qu’avez-vous fait pour nous protéger ?”

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Tout à fait, c’est qu’à un moment, quand on dit que c’est grave, en tant que fonctionnaires avec des obligations, notre parole est crédible. Nous sommes les premiers à soutenir nos élèves, les premiers à essayer qu’ils réussissent, et parfois même les derniers à les soutenir quand tout le monde les a abandonnés. Donc, si à un moment on signale un danger grave, alors il nous faut la protection fonctionnelle. Cet élève ne peut pas rester dans l’établissement parce qu’il est dangereux pour la communauté éducative, il faut que quelque chose soit fait.

francebleu – Wendy BOUCHARD

Ça veut dire maintenant, Jean-Rémi Girard, finis les grands discours, finis les discours tièdes, et peut-être vous rejoignez ici le discours d’autorité et de fermeté de Gabriel Attal sur ce sujet ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Alors, les discours d’autorité, c’est très beau, mais ce que l’on veut, ce sont des actes d’autorité. C’est sur la base de ces actes que nous jugerons. Car il y a trois ans, avec Samuel Paty, nous avions eu de nombreux discours, mais je n’ai pas l’impression, je ne crois pas que grand-chose ait changé. Nous avons un peu plus facilement accès à la protection fonctionnelle, qui est maintenant accordée de manière un peu plus automatique, c’est la principale évolution. Cependant, en ce qui concerne la gestion des élèves radicalisés, par exemple, il n’y a pas eu de transformation depuis 3 ans.

« Il est très important de ne tolérer aucune emprise idéologique à l’école.»
Jean-Rémi GIRARD
Président du SNALC

 

francebleu – Wendy BOUCHARD

Il y a eu un gros débat à la rentrée sur le port de l’abaya. Est-ce que cela participe quand même de cette fermeté selon laquelle on ne devrait tolérer aucune emprise idéologique à l’école ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Il est très important de ne tolérer aucune emprise idéologique à l’école. Le ministre a pris une décision très claire à la rentrée, d’ailleurs soutenue par la majorité de la population et par mon organisation syndicale. Ensuite, une élève qui porte une abaya n’est pas forcément une élève radicalisée, ni même gravement radicalisée, c’est-à-dire que c’est la majorité. On peut faire quelque chose pour elles. Il faut aussi garder à l’esprit que l’Éducation nationale, par nos enseignements, par nos enseignements scientifiques et humanistes, peut leur faire découvrir autre chose que ce qu’elles ont dans leur famille. Cependant, il y a un certain nombre de cas, très peu nombreux mais réels, où on pisse dans un violon.

[…intervention de J-Luc Moudenc, maire de Toulouse…]

francebleu – Wendy BOUCHARD

M. le Maire, Jean-Rémi Girard est à votre écoute, en tant que professeur de français mobilisé avec son syndicat, le SNALC.  Jean-Rémi Girard, le fait qu’il y ait cette unité, que les élus travaillent aussi pour vous, avec vous, en cette période, ça fait du bien ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Il faut de l’unité, car effectivement, tout ce que l’on appelle le bâti scolaire dépend des collectivités locales, ce n’est pas de la responsabilité de l’État. Bien sûr, l’État peut apporter son soutien, et nous aimerions que l’État le fasse. Cependant, il est vrai que nous avons besoin d’évaluations de sécurité pour chaque école, chaque collège, chaque lycée sur l’ensemble du territoire, et cela n’a pas été réalisé, car chaque collectivité prend ses propres décisions. Par conséquent, dans certaines villes, cela a été fait, alors que dans d’autres, ce n’est pas le cas, avec de grandes disparités entre les grandes villes et les zones rurales, qui disposent d’une seule école. De plus, les moyens ne sont pas les mêmes, ce qui est également important à prendre en compte.

francebleu – Wendy BOUCHARD

C’est un état des lieux que vous pouvez demander ?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

Mais c’est ce que nous avons demandé. Nous avons demandé des diagnostics de sécurité, et nous parlions des alertes à la bombe. Il faut savoir que toutes les écoles, tous les collèges, tous les lycées n’ont pas les dispositifs permettant d’activer une alarme, et des alarmes différentes sont utilisées en cas d’intrusion ou d’alerte incendie. Ce n’est pas normal, il est essentiel qu’un système de sécurité uniforme soit mis en place dans tous les territoires.

[…témoignage d’un professeur de la région toulousaine…]

francebleu – Wendy BOUCHARD

Une réaction à ces propos sur la manière dont l’école a cristallisé justement la haine?

SNALC – Jean-Rémi GIRARD

C’est un phénomène qui en fait n’est pas si récent que ça. Ça date même d’avant Samuel Paty. Je me souviens d’une revue de l’État islamique qui disait qu’il fallait attaquer les enseignants, que l’enseignement de la musique était une hérésie… C’était écrit noir sur blanc dans une revue en français que je pouvais moi-même télécharger assez facilement sur internet. Donc effectivement, l’école est une cible. Aujourd’hui, elle est une cible du fanatisme et du terrorisme. C’est pour ça qu’il faut évidemment, comme l’a dit ma collègue, y répondre par le travail que nous faisons au quotidien. Mais il est absolument nécessaire que les personnels et les élèves bénéficient d’un niveau de sécurité adéquat, et que nous n’ayons pas d’écoles où finalement les clôtures ne font que 60 cm de hauteur.

« …Il faut aussi garder à l’esprit que l’Éducation nationale, par nos enseignements, par nos enseignements scientifiques et humanistes, peut leur faire découvrir autre chose que ce qu’elles ont dans leur famille. »
Jean-Rémi GIRARD
Président du SNALC